[journal] d'antigone _ beyrouth en ce 15 novembre 2009 _ semaine 2

Ania, metteur en scène d’Antigone à Beyrouth, dit le 15 novembre 2009:


La deuxième semaine de travail s’est terminée aujourd’hui. Nous avons répété le spectacle et travaillé avec les écoles et l’association Afel tous les jours (sauf samedi) de 10h00 à 19h00.


Les répétitions avancent très vite et nos désirs sont ambitieux. Il nous reste trois semaines pour mettre ces délires de l’imaginaire en forme.


La semaine aura été marquée par trois moments forts :


Les discussions autour de la violence ménagère.

Les discussions autour de la question de résistance au Liban, comparée à la résistance d’Antigone.

Les discussions avec les élèves des écoles.


Lors d’une répétition de la scène de conflit entre Antigone et Créon, qui se passe devant les notables de la ville, les acteurs ont proposé que Créon se serve de la violence physique sur sa nièce Antigone. Sans me prononcer, je les ai laissé faire. La scène a été envahie d’une violence effroyable. Créon battait Antigone avec sa ceinture (nous faisons du théâtre). J’ai été très intéressée par ce que j’ai vu, la scène était très bonne, mais il ne me semblait pas vraisemblable que cet oncle puisse ainsi battre Antigone en public. Les acteurs ses sont alors assis et m’on longuement expliqué que la question de la violence au sein de familles est extrêmement différente entre le Liban et la Suisse. Ici, un père de famille ou un oncle ne perd (ou ne perdait) pas de crédibilité auprès de son entourage s’il bat son enfant en public, même au contraire… Ils m’ont parlé d’eux, de leur vécu. Si nous intégrons cette proposition dans le spectacle, nous pouvons alors considérer que nous dénonçons cette forme de violence.


Puis nous avons aussi abordé la question de la résistance au Liban (résistance à la Syrie, à Israël). Jusqu’où peut aller la résistance ? Jusqu’à donner sa vie ? Contre qui est cette résistance ? Comment la vivent-ils au quotidien ? Quelle colère la résistance engendre-t-elle chez de jeunes adultes qui n’ont connu leur pays que menacé de guerre ? En quoi peuvent-ils comprendre le sacrifice qu’Antigone fait de sa vie ?

Les résistants existent ici, ils sont nombreux, et ils sont prêts à le devenir.


Chaque jour, nous nous sommes rendus dans une école ou une association différente aux quatre coins de la ville.


Je vais relater ici une situation où nous avons rencontré dans une école une jeune Antigone libanaise. Khaled a demandé aux élèves si parmi eux il y avait quelqu’un qui serait prêt à donner sa vie pour une cause, en disant bien que lui ne s’en sentirait pas du tout capable. Une jeune fille de quinze ans a levé la main et a répondu fermement « oui, moi ». Nous lui avons demandé de développer sa réponse. Elle nous a dit avec une insolence propre à l’adolescence qu’elle ne voyait pas de sens à sa vie si elle ne savait pas pourquoi elle vivait ni pourquoi elle mourrait. Nous en sommes restés hébétés. Cette jeune élève a aussi abordé la question de la femme au Liban, qui n’ose pas affirmer ses idées, qui n’ose pas prendre la parole. Elle a comparé ces femmes à Ismène, la sœur d’Antigone.


La professeure de cette classe nous a ensuite rappelé combien cette pièce de Sophocle touchait à des tabous au Liban, que ces élèves généralement très loquaces n’osaient pas s’exprimer. De peur de toucher à des questions politiques ou de libération de la femme...

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